Charlotte Cosson Le steak surgelé dans le freezer 2013



Le steak surgelé dans le freezer : nul besoin peut-être de voir l’œuvre produite par Grégoire Motte. Mais de connaître son histoire, si. Le réalisateur John Waters relatait que lorsqu’il n’avait pas le moral, il regardait le steak qu’un ex-petit ami lui avait offert. C’est moins le cocasse de la situation qui intéresse l’artiste que la valeur accordée à un morceau de bœuf. Motte interroge : serait-ce dans ce que l’on projette sur une chose que se situe l’essence de l’art ? Est-ce ce qui différencie un objet usuel d’une œuvre ? 
 
Le steak surgelé est aussi un remède aux coups de blues esquissés dans l’œuvre Un jour ça va, un jour ça ne va pas. Chacun des points y représente, en quinconce, un jour de pic créatif ou un d’ennui, une journée de bonheur ou une de morosité. Et comme dirait Motte : « le pire, c’est que c’est beau ». C’est aussi à une certaine idée de l’histoire de l’art que l’on est confronté, puisque les tâches des mauvais jours sont faites d’huile… à frire. Un renouveau amusant en cette période de querelle sur l’acuité de la peinture contemporaine.

Si les œuvres de Grégoire Motte – ses sculptures en spaghetti par exemple – s’insèrent aussi bien dans ce contexte de vie quotidienne, c’est parce qu’elles ont été pensées et produites dans ce cadre. Il rapporte à son échelle les questionnements qui l’ont traversé lors de la découverte d’autres univers. Quoi comprendre ? Quoi voir ? Quoi collecter et rapporter de voyage ? C’est comme si Grégoire Motte se sentait obligé de répondre à ces questions par une œuvre. Il se confronte ainsi à d’autres cultures et met en valeur les clichés en les faisant dialoguer avec les traditions du Nord de la France où il est né. C’est ainsi qu’il s’est rendu compte que les sous-nappes en bulgomme étaient de bons catalyseurs pour dessiner des nuages japonisants. Mais comment témoigner de l’impossibilité que l’on éprouve à se fondre dans un contexte ? En créant des fontaines quasi ridicules à l’aide de coquillages et de bouteilles d’eau pour faire face à son désir irrésistible d’être sculpteur à Rome ; en réalisant des œuvres sur les chiens errants de Roumanie parce qu’il ne savait quoi dire de ce pays…

Ce qui est moins perceptible est la propension de Grégoire Motte à penser en récit et à faire œuvre comme on écrit un texte. Ce n’est pas qu’une poésie du quotidien qui est en jeu ; le détour par le récit est une méthodologie. Et ce même si elle reste parfois invisible dans le produit final, à l’image des alexandrins de Racine qu’il faut « embuer » afin de les faire fugacement apparaître. A la sensualité de l’acte de mêler son haleine à une œuvre s’ajoute l’idée de labeur : c’est avec du temps et de la persévérance que se découvrent les histoires et la profondeur des œuvres de Grégoire Motte.
Si ses pièces prêtent souvent à sourire, ça n’est dû qu’à leurs formes et matériaux. Le rendu visuel d’une réponse à un questionnement, que l’on aurait pu penser comme anecdotique, est en fait de première importance. C’est ce mélange entre « faux sérieux » et « réflexion réelle »[1], récit et matérialité, qui séduit.




[1] Sébastien Gokalp, Catalogue du Salon de Mon Trouge, 2013, p.146.                                         

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