« L’art contemporain nous enseigne que se promener sur terre est encore plus insensé que de marcher sur la lune »
Raymond Hains, in Raymond Hains Akzente 1949-1995 Museum Moderner Kunst Stifunghindung, Vienne, 1995, p.30.



Nous nous trouvons souvent confronter dans la création actuelle au devoir d’exposer sa légitimité, son rôle social, son rôle intellectuel, à la confrontation avec l’histoire (ce qui rassure ou assure) à sa confrontation aussi à sa contemporanéité (ce qui angoisse). L’œuvre semble aujourd’hui généralement (et nous généralisons) vue comme une solution à une question, une problématique, une quête « mystique » de sens. Mais pas comme un potentiel. Et qu’est-ce que le potentiel ? C’est peut-être ce qui n’a pas besoin d’être nommé justement. Et c’est une difficulté que de ne pas « nommer », car fatalement c’est pris pour de la fainéantise, ou pire encore, une fuite.

Alors faut-il se jeter à l’eau et tout simplement dire que le travail de Grégoire Motte ne dit rien et ne nous explique rien. Peut-on simplement le résumer à un irréductible rendez-vous ? Là encore et si l’on y prête un peu attention, nous parlons ici de rendez-vous affectifs, de rendez-vous sentimentaux, on sait que ce type de rendez-vous n’est pas facile.

L’activité productive de Grégoire Motte apparaît d’abord comme l’établissement d’une encyclopédie infinie, il se réserve des objets et des procédures, des attitudes et des actions, d’ailleurs on se demande si les objets ne le choisissent pas, plutôt que l’inverse. Il construit à l’instar de Tristan sa « Salle aux images », à ceci de différent qu’elle n’est pas exclusive à son propriétaire-bâtisseur. Aussi, il délègue au spectateur le soin, suprême paresse, d’une part de son travail. De cela il faut s’expliquer. Il crée un espace favorable au rêve, à l’action aussi ; il propose une disponibilité de discerner et de penser avec les éléments déjà là, peut-être trop d’ailleurs pour qu’on puisse les voir, ou les observer avec le recul nécessaire. Raymond Hains dirait qu’elle crève les yeux, c’est pourquoi nous ne les percevons pas. Son exploration créative dépasse ainsi le simple dandysme, car si le point de départ puise assurément dans une « mythologie personnelle », l’espace d’action qu’il déploie s’offre à chacun. Ainsi chaque pièce, chaque œuvre ou geste, sont les éléments d’un tout qui se voudrait un conforme « normalement nuancé ». Et c’est dans notre fantastique qu’il faut le puiser. Nous pourrions vivre notre monde réel comme un roman…Et là encore faut-il s’employer à expliquer, Grégoire Motte n’échafaude pas une fiction narrative fantastique, c’est par trop confortable, au contraire, il pétrit dans le réel et il modèle à partir de ce dernier une possibilité de le lire comme une fiction. L’artiste construit une vision abstraite et intuitive de notre réalité : avant de changer le monde il s’agit de changer la vie, et la penser en " moments ", comme de minuscules apparitions, comme le décrit Henri Lefebvre, des " moments " qui naissent de la " vie quotidienne ", dans ce " qui reste quand on a éliminé toute activité spécialisée ". Il agit à l'instar des situationnistes: "Là où le monde réel se charge en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d’un comportement hypnotique. A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir, le spectacle est le gardien de ce sommeil."
Grégoire Motte monte ainsi des miscellanées d’artifices, dans lesquelles l’artifice tient lieu d’expérience ou plutôt de possibilité d’expérience.