Je n’aipas changé


Grégoire Motte et Lise Guéhenneux


HYPERTEXTE #3, Des fantômes à l'œuvre




Arriver avec Werther et repartir avec Proust : l’ennui, non, peut-être davantage une béatitude angoissante, le positif du gouffre qui avance. Les premières lettres de Werther coïncident avec mon arrivée à Marseille, début Mai.




10 mai.
Il règne dans mon âme une étonnante sérénité, semblable à la douce matinée de printemps dont je jouis avec délices. Je suis seul, et je goûte le charme de vivre dans une contrée qui fut créée pour des âmes comme la mienne. Je suis si heureux, mon ami, si abimé dans le sentiment de ma tranquille existence, que mon talent en souffre. Je ne pourrais pas dessiner un trait, et cependant je ne fus jamais plus grand peintre. Quand les vapeurs de la vallée s’élèvent devant moi, qu’au-dessus de ma tête le soleil lance d’aplomb ses feux sur l’impénétrable voûte de l’obscure forêt, et que, seulement quelques rayons épars se glissent au fond du sanctuaire ; que, couché sur la terre dans les hautes herbes, près d’un ruisseau, je découvre dans l’épaisseur du gazon mille petites plantes inconnues ; que mon coeur sent de plus près l’existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et d’insectes de toutes les formes ; que je sens la présence du Tout-Puissant qui nous a créés à son image, et le souffle du Tout-Aimant qui nous porte et nous soutient flottants sur une mer d’éternelles délices : mon ami, quand le monde infini commence ainsi à poindre devant mes yeux, et que je réfléchis le ciel dans mon coeur comme l’image d’une bien-aimée, alors je soupire et [ 5 ] m’écrie en moi-même : « Ah ! si tu pouvais exprimer ce que tu éprouves ! si tu pouvais exhaler et fixer sur le papier cette vie qui coule en toi avec tant d’abondance et de chaleur, en sorte que le papier devienne le miroir de ton âme, comme ton âme est le miroir d’un Dieu infini !… » Mon ami… Mais je sens que je succombe sous la puissance et la majesté de ces apparitions.
Werther, on a envie, parfois de lui mettre des tartes !



Lever de soleil pris avec un flash, Turner.
Une photo prise vers cinq heures et demie du matin sur le bateau qui m’emmenait vers l’Afrique (à Tunis). C’est le soleil levant sur la mer. J’étais dans le bateau derrière une vitre et le flash de mon appareil photo s’est déclanché : on voit un paysage atmosphérique, avec le ciel en arrière plan et le soleil encore bas qui éclaire la mer et vient taper la vitre pleine de traces et de gouttes. En dessous de lui un peu à gauche, le flash de mon Panasonic-DCM-FS10 se reflète sur l’autre coté de la vitre en un halot d’une taille à peu près similaire à celle du soleil, mais plus bleuté. Turner oui et avec le flash en plus. Alors, Friedrich par-dessus ? Le reflet du flash comme un homme de dos…
La seule image de moi dans tout ce que j’ai produit à Marseille, le seul autoportrait. On voit donc le photographe. Une compétition entre une apparition, un halo lumineux, une présence.
Caspard David Friedrich.
Une façon de placer quelqu’un dans la photo.
Turner par rapport à la peinture, Friedrich par rapport à l’arrivée de l’homme dans le paysage.
La mer Méditerranée à l’arrière du bateau, comme une issue fatale prête à t’engloutir. Surtout la nuit. Tu sais que tu ne dois pas sauter là-dedans, alors quand tu regardes l’immense remous qui s’étend lentement, il y a cette attraction diffuse, tu dois résister. C’est comme le vertige j’imagine, mais avec la mer… Une vraie impression, attraction, une situation qui matérialise le passage à l’informe.
Tu es devant un choix, c’est presque là la place. L’attraction pour le bouillonnement surnaturel, une machine à broyer. Si tu vas là-dedans… C’est lent et beau comme le voit un personnage dans un tableau de Friedrich. Je présente rarement des photographies, mais plutôt, comme au Japon, par exemple, les objets qui ont servi pour la prise de vue (une prothèse, une branche de prunier en fleur au bout d’une tige fixée à l’appareil photo qui devenait le premier plan de tous mes clichés japonais) ou alors, des photos dans un format « touristique », 10 x 15.
Là, c’est un constat, c’est une fausse peinture, cela pourrait se prêter à une photo plus grande. Pas de protocole. Cela commence comme au Japon, un cliché. Et puis la surimpression d’autre chose.


Trois mois, le temps est plus important que le lieu. Non, tout est important, en fait.
Tous les soleils, plusieurs soleils.
Lorsque je rassemble tout dans mon atelier.
Impressions d’Afrique / crépon : deux soleils. C’est une coïncidence. Le soleil tape sur les trains et il est réfléchi sur le mur face à la fenêtre. Il allume l’inscription dorée (« IL N’Y A PAS DE MISS MARSEILLE »). Elle devient elle-même un soleil..


Muybridge ou Marey me sont apparus par surprise dans l’atelier quand un train est passé alors que j’avais placé la sculpture devant la fenêtre (installation simplement narrative, racontant l’épisode du départ du pigeon). L’ombre portée de la statue du pigeon s’est mise en mouvement…
Ça n’était pas prémédité, mais c’est resté. Comme une apparition qui valide des choses intuitives.


La salle des images de Tristan.
J’ai lu un ouvrage de René Louis qui, partant de tous les manuscrits du XIIe et XIIIe siècle, retranscrit toute l’histoire, tous les épisodes de la vie de Tristan (et Yseult). Tristan va tous les jours dans la caverne où est reconstituée cette épopée. Chaque jour, il y retourne et selon son humeur, il fait des choses différentes.
Retour à la salle aux images de Tristan / atelier :
Dans l’un des derniers épisodes, Tristan exilé en Petite Bretagne découvre une énorme caverne dans laquelle il fait réaliser par les meilleurs artisans du pays, tous les monstres, les figures de son épopée. Les statues et les objets sont réalisés avec des rapports d’échelles, de matériaux, et sont placés, installés d’une manière précise. Tout correspond, le nain Forcin, par exemple, réalisé en étain, semble pleurer et sert de socle à Iseult, la blonde. Elle, grandeur nature, semble presque vivante et, par un mécanisme, entrouvre sa bouche qui exhale un parfum dans toute la salle, liant le tout. Sa servante est rendue avec autant de soins mais à une échelle un peu réduite, etc.
De même, la représentation de mon pigeon qui reprend son envol est un récit physique d’un des évènements de mon séjour à Marseille. D’ailleurs il est fabriqué en terre crue qui est vouée à se désagréger comme si j’en avais fait un récit oral. Les impressions sur crépon vont disparaître aussi.


 
  


De l’atelier, salle aux images de Tristan, à la lanterne magique de Combray :
Marseille, pendant une certaine période de vide, arrive la figure de Proust. La façon dont il articule une suite de descriptions de pensée déclanche l’imagination. Du côté de chez Swan, à Combray, on sortait une lanterne magique les soirs où l’enfant avait l’air trop malheureux. Le rendu est décrit comme surnaturel et ce qui est peint, ce sont des légendes.
Et dans l’atelier, certains soirs, l’image de l’oiseau ne se dirige pas vers l’extérieur réel – la rue, les trains sont devenus une partie de la lanterne magique – mais vers le mur opposé, l’horizon imaginé : la légendaire et immense absence de Miss Marseille. Pour Proust, le changement d’ambiance que provoque la lanterne magique dans la chambre génère plus d’angoisse chez l’enfant parce qu’elle modifie l’environnement réel auquel l’enfant essaye avec peine à s’adapter.
Le mouvement de la lanterne est provoqués par le passage des trains et la projection a lieu sur le mur du fond, l’image du spectre du pigeon ou quelque chose comme cela. PFFF !


L’atelier et le voyage :
Avoir un atelier permet de contracter une angoisse et de l’affirmer. Trois
mois et un grand atelier vide.
Au début, je me disais, je ne suis pas dans mon atelier, je vais mettre du crépon par terre avec des trucs dessus comme ça, ça travaille sans
moi, tout seul, du lever au coucher du soleil. Du coup, je peux partir en Afrique… Mon voyage et les décolorations. Sur le crépon, je voulais que s’impriment des trucs, genre africains. Une idée un peu con et les résultats étaient souvent moches ! Mais pour chaque dessin héliographique, j’avais placé deux soleils. Je disais : je mets deux soleils par image parce qu’en Afrique, il fait très chaud ! J’aime bien ce genre de connerie. Mais surtout, cette multiplication des soleils a finalement existé. Celui qui se lève sur la mer, celui de la lampe de la lanterne magique. Les lettres « IL N’Y A PAS DE MISS MARSEILLE » ressemblent à un coucher ou à un lever de soleil sur l’horizon séparant une mer et un ciel de papier peint… Tout est rassemblé à un moment, du coup tout peut cohabiter. Un coucher ou un lever de soleil, en fait, c’est le vide qui te permet de le voir. Si tu as un immeuble ou miss Marseille devant toi, tu ne le vois pas. En fait, « IL N’Y A PAS DE MISS MARSEILLE », en or sur ce mur bleu : c’est l’agglutination d’une chose extraordinaire et de son absence dans la réalité qui crée cette notion de beauté maximale. C’est bien ça une miss non ?
La seule erreur, c’est que le soleil tape plus sur une lettre ou une autre mais ses reflets restent sur l’horizon, de part et d’autre, comme si l’effet était raté car un vrai reflet sur l’eau viendrait se placer en dessous. Après coup, je pourrais dire que j’ai réalisé le mur avant de partir.


De la révélation à l’élection : une « illumination » ?
Au lever du soleil, très peu d’éléments, donc ç’est assez simple, la mer, au-dessus le ciel et à une certaine hauteur, le soleil et en dessous de lui, des reflets. En fait je pense que j’ai besoin d’un contexte pour travailler mais c’est toujours pour m’apercevoir que je n’y appartiens pas et chaque fois je suis obligé de m’en dégager. Je pense que c’est la place qui m’intéresse plutôt que des trucs bien ficelés parce que ça serre… La révélation, c’est important, je la confonds un peu avec l’élection, le fait
de décider qu’une chose existe.
L’élection. Laquelle ? Celle de Miss Marseille ?
Ou l’élection du vide puisqu’il n’y en a pas, de Miss Marseille ou alors l’idée d’une Miss Marseille, comme un voyage qu’on projette mais qu’on ne peut pas faire, comme Joffrey Rudel et sa Princesse lointaine. Rudel surprend la conversation de pèlerins parlant d’une princesse orientale. En entendant ces paroles, il tombe alors amoureux de cette princesse et toute sa production est ensuite conditionnée par cela. L’intérêt c’est que c’est une femme lointaine. Puis, la rencontre, dans la version de l’histoire que j’ai lue, se déroule alors que Rudel est mourant parce qu’il a contracté une maladie. La princesse vient sur le rivage où il a abordé, ayant entendu parler de la poésie de ce troubadour. Elle a le temps de lui donner un baiser chaste avant qu’il ne meure puis elle prend le voile. Donc, la rencontre ne donne lieu à rien. La production est dans le reste. Comme dans ce que je fais avec les villages portant le nom de « Baby » en Pologne, le « Baby » des love song. On pense à une « Baby » ou à plusieurs, comme les couchers de soleil, les abysses. Un jour, je voulais construire une méduse, et j’ai lu un article sur Internet disant que l’on ne savait pas à quoi ressemblent certaines méduses parce qu’elle vivent dans des abysses insondées. C’est la notion d’espace-temps qui devient le théâtre de la création. Ce n’est pas un objet après lequel on s’accroche. Il existe toujours un décalage. Lorsque c’est trop précis n’y a plus de place pour le starter, la création rejoint le fait de ne pas faire de choix, de le constater car ce n’est pas volontaire. Il ne faut pas que cela puisse vieillir, devenir une antiquité, afin de rester ouvert, d’être réactivé sur un long temps, très long temps, traverser le temps, les époques, sans effort.


L’élection du vide !
Avec Shakespeare, au début de pas mal de pièces, il y a souvent une première scène surnaturelle. Si Hamlet ne voit pas le spectre ou si Macbeth n’écoute pas les sorcières, rien n’advient. Ce surnaturel intervientcomme un starter.
Du coup, le starter peut prendre toutes les formes, des « trucs mal ficelés ». Avec du recul, une articulation entre les différents starters, devient efficace parce que cela engendre des projections ou des plongées. Pas d’art conceptuel. Pas d’art de la citation, comme lorsque l’on veut situer son travail dans le champ de l’art contemporain. Je me réfère moins à des formes, comme celles de l’architecture utopiste, par exemple, je remarque des mécanismes après coup et j’aime la littérature qui fonctionne ainsi. Le plus dur c’est de garder au maximum et le plus longtemps le vide sans le remplir. J’ai dit au début que je faisais un voyage en Afrique parce qu’un voyage en Afrique, c’est long et c’est loin… hors de l’atelier……………………….. L’Afrique c’est l’Afrique, on change de continent, c’est un prétexte. Je suis à Marseille en Europe et je prends un bateau pour aller en Afrique. Et ça donne lieu à un grand voyage. Je
reste au raz du sol, je traverse. Seul compte le temps du voyage. Voyager seul. Le voyage en Afrique suppose le lointain et l’occasion d’être en mer. Un autre continent. Il y a une vraie frontière.
Et Voilà, c’est le Boa ! La beauté de la guirlande de Noël que j’achète à Tunis.
Pardon mais ça s’est déroulé ainsi, l’incongruité de ça dans cette épicerie… Mais je pense surtout que j’ai trouvé ça beau. Il faut dire qu’il y en avait beaucoup, beaucoup, de toutes les couleurs. J’en ai acheté une… Je la regardais, dans son sac plastique, c’était plus vraiment pareil. En rentrant elle a pas mal traîné, puis, à un moment, en une minute, elle est devenue le BOA en rencontrant le grand bout de bois. La bête épinglée sur son socle de trophée et le boa que l’on met autour du cou qui descend sûrement de l’animal, qui s’enroule autour du cou et du corps. C’est un geste rapide. Ensuite, on en parle. Alors ça existe ! Comme un miroir qui fascine un Indien qui donne de l’or en échange, entrant en contact avec une espèce de magie, alors que l’autre pense au business. On parle encore d’expérience. Après c’est la répétition qui est tragique. C’est marrant d’imaginer l’indien collectionneur de pacotilles... Finalement il se
fait ratiboiser… Mais la première fois, c’est lui qui gagne.


Le voyage comme un présent. Un temps présent.
Le vide.
Le chimérique.
Le côté informe du présent.
Assurément, c’est une posture romantique mais je ne travaille pas en pensant au romantisme. J’y pense, après coup. Des expériences qui doivent être vécues dans la solitude.
Alors romantisme ? Pour l’imprécision. Être comme un con devant quelque chose que l’on ne comprend pas.
Solitude : Turner part d’une tache. Pour trouver une interprétation à un nuage, il vaut mieux ne pas être cinq. La qualité de la solitude permet une beauté maximale qui serait gâchée si elle advenait réellement – comme s’il y avait une Miss Marseille. La seule solution, c’est de ne pas en élire.
Et des choses arrivent et on les prend et, à la fin, on regarde tout ça.


Le Vide
Le travail se situe dans une extension du territoire avec des liens. Starters, pics, les pièces, arrivent dans un contexte. La mise en relation apparaît après. On voit l’importance des jalons et donc l’importance de ne pas être sculpteur, photographe, etc. Parmi Les personnages qui ont tué un dragon, Il existe ceux dont c’est le métier et ceux, comme Tristan, ou Siegfried, qui ont tué un dragon puis ont fait autre chose, qui sont les héros d’une épopée plutôt que des mercenaires. Les pièces existent encore, peuvent être prises, c’est le contraire d’un dossier chronologique où, plus tu deviens artiste et plus tu montes en puissance. L’efficacité aujourd’hui est représentée par ces tueurs de dragons professionnels.


Le réflexe
Le choix d’une ligne, d’une trajectoire cohérente, d’une croisade ou bien, simplement, par tous les moyens, vouloir prendre le chemin de la visibilité alors, plutôt le non choix, c’est important car je n’ai pas décidé de travailler sur le pouvoir, par exemple. Mais il y a quand même des directions. Être devant ce merdier et fabriquer des bribes de compréhension. Difficile de se focaliser sur le social, l’esthétique alors que l’on ne sait pas ce qui nous arrive. Il y a beaucoup d’artistes dont l’assurance me déconcerte en tous les cas ! Et cela aussi, ça dépend des jours… Il n’y a pas d’exactitude. Lorsque c’est fait, c’est fait, il n’y a pas d’école pour cela. En fait peut-être qu’au choix, je peux substituer le réflexe. Parce que le réflexe est quand même conditionné par un vécu mais en même temps, il fait de mes gestes ou de mes idées, des surprises, même pour moi. Le côté furtif et informe du réel présent conditionne la forme des pièces, par exemple, cacher une porte avec une tache, rajouter une touche de vert avec un sapin. Aucun élément n’est prémédité. Tu fais confiance au réflexe. Les choses se lient et tu t’en rends compte ensuite. Ce qui paraît sans intérêt peut le devenir. Le réflexe permet également de réaliser des pièces rapidement. Un pigeon recueilli s’échappe et devient une sculpture en terre. Tu lui fabriques un espace entre les pieds d’un baby-foot trouvé. Le pigeon et la cage s’additionnent. À ce moment encore, le réflexe se substitue au choix et tu dois improviser. Les choses ne se répètent pas de la même façon. Il y a une part d’intuition face à ce présent informe. Et tout cela génère des histoires. C’est important dans mon travail. Peut être que l’on constate la fabrication de récits devant nous. Notre action est celle de ["consiste à" plutôt que "est celle de"?] pointer des choses parce qu’elles procurent une sensation ou je ne sais quoi. Ensuite, ces choses se lient, enfin, nous les lions…


L’ennui et le pic
Au milieu d’un vide, puisque, pendant une période d’emmerdements, la fabrication de la pastèque-frite. Pendant une période plane, faire des taches brutales, un pic, un relief. C’est instantané, brutal. Cela fait réagir, rire : « Il s’emmerde, il va faire une connerie… » Et là : Pastèque-frite sur le skate-park.
L’ennui donnait lieu à une bipolarité de mon humeur… Sometimes I’m up, Some times I’m down, Sometimes etc., des blues traditionnels qui ne s’arrêtent jamais. Du coup une tache brillante, une tache grasse, une tache brillante… Mais, ça va, ça va pas du tout. C’est ce que dit le jeune Werther aussi. Ce que j’appelle l’ennui, c’est peut-être la place laissée aux questions obsédantes.


… Tu me demandes si tu dois m’envoyer mes livres ?… Au nom du ciel ! mon ami, ne les laisse pas approcher de moi ! Je ne veux plus être guidé, excité, enflammé ; ce coeur fermente assez de lui-même : j’ai bien plutôt besoin d’un chant qui me berce, et de ceux-là, j’en ai trouvé en abondance dans mon Homère (l’Odyssée plus à propos). Combien de fois n’ai-je pas à endormir mon sang qui bouillonne ! Car tu n’as rien vu de si inégal, de si inquiet que mon coeur. Ai-je besoin de te le dire, à toi qui as souffert si souvent de me voir passer de la tristesse à une joie extravagante, de la douce mélancolie à une
passion furieuse ? Aussi je traite mon coeur comme un petit enfant malade. Ne le dis à personne, il y a des gens qui m’en feraient un crime…



L’Odyssée c’est la mer. Toujours une histoire de découverte. Découvrir sans être spécialiste mais tout en découvrant quand même. C’est la recherche et la découverte de l’artiste. Pas une performance au sens de spectacle.
Une production issue d’une traversée dans le temps et l’espace d’où la tentative de sonder les abysses avec un mini-bathyscaphe, comme le comandant Cousteau. Ce que montre Cousteau, c’est ce qu’il découvre et, en même temps, il n’est pas un spécialiste de ces « nouvelles » choses. Et Cousteau et son équipe gardent leur échelle humaine (on les voit souvent de dos d’ailleurs)… Pas encore l’omniscience des émissions qui nous apprennent tout tout tout tout. Cousteau, lui aussi, ne fait que le voyage (au moins dans ses films du début).


Du coucher du soleil aux abysses.
La photo préparée avec tout un dispositif d’explorateur, même si, comme Cousteau, on découvre en même temps que l’on témoigne. On informe sans être expert, le terme actuel. La préparation aboutit sur un échec.


Le skate frite aussi. Mais à la différence, c’était fait pour être une chose brutale, comme le jeu de mot du titre. D’un côté il y a un fond, ces jours brillants, ces jours gras, ces jours brillants, ces jours gras, ces jours brillants, ces jours gras… Et à un moment, ces pastèques-frites sur le skate park. La bouillie rouge jaillit sous un coup de pompe à une pastèque posée sur une grille métallique au-dessus d’un endroit super cool. C’est comme pour produire un pic… une faiblesse peut être, ce besoin de faire quelque chose.


                        


Mais restons sur la photo, cette histoire de photo.
Une photo préparée rate et une photo non prévue, car le flash se déclenche, devient une photo épinglée au mur d’un côté de la fenêtre de l’atelier avec, de l’autre côté, le boa, l’autre trophée, l’autre « image » rapportée d’Afrique.
La photo des abysses c’est prendre à nouveau la mer. Pour l’Afrique, le voyage était horizontal, là pour la photo des abysses, il était vertical. Et c’est là que le marin d’eau douce rejoint l’époque des inventeurs.


D’autres starters dans l’atelier.
Les lunettes cassées. La vision 3D.
Réparation des lunettes de soleil avec un cul de canette de bière. Un verre noir et un verre vert, ça ressemble à des lunettes 3D. Cette idée de faire semblant, de singer une technologie à la mode sachant déjà presque que ça ne marche pas. Mais jouer. Et l’occasion de faire des dessins à double trait,
un noir, un vert. Et même des sculptures, des formes répétées en deux couleurs à la manière des images 3D. C’est idiot parce que la sculpture c’est déjà de la 3D mais c’est une façon de faire des choses, à côté.


Les séances de nu et le passage d’Eléonore à Marseille. Mes dessins d’après modèle ont toujours étés assez nuls, mais là, avec cette double ligne verte, ils s’améliorent.


                          




Toujours garder la distance entre les pièces, Les six Baby polonais et les Huit tigres de Genève2, Les rings belges3, par exemple, garder cela dans le travail, comme dans une épopée, des souvenirs de vacances, des souvenirs de jeunesse, transmis oralement, ce qui permet des possibilités de modulation,
la mémoire restituant au passé sa possibilité. Les pièces restent, que je veux pouvoir manipuler, sur l’origine desquelles je peux revenir toute en gardant une certaine distance afin de m’en servir d’outil, de levier, de starter, pour interroger ce voyage. Je ne travaille pas par couches mais par rapport à un territoire qui existe, et qui s’étend peu à peu, entre moi et ce que l’on ne peut pas sonder, sur lequel je peux agir. Certaines pièces fonctionnent comme des poches abyssales, des grands fonds, un peu à la façon d’une flaque d’eau trouble qui devient une potion dotée de vertus à mesure que l’on y ajoute en les mélangeant toutes sortes d’ingrédients, de merdes improbables.


1. Les six Baby polonais, 2005-aujourd’hui. Les six villages polonais nommés Baby que j’ai
découverts en 2005 sont devenus un horizon parce que je ne peux jamais y retourner. Le temps et l’espace qui m’en séparent constituent le théâtre du désir et de la création.
2. Huit tigres de Genève, Grégoire Motte, 2009. Genève est la seule ville regroupant les 8 sous-espèces connues de tigres au monde. Les 8 seigneurs des jungles et des steppes
d’Asie se sont finalement établis à Genève. J’ai commandé à un photographe professionnel les portraits de ces 8 figures.
3. Les Rings, Grégoire Motte, projet à venir. Réalisation d’une collection de joaillerie reprenant en or, la forme des principaux périphériques belges : les rings (R0 : grand ring de Bruxelles, R1 : ring d’Anvers, etc.)